Je suis un peu amoureuse de Meret Oppenheim

Je suis un peu amoureuse de Meret Oppenheim depuis plus de 30 ans. A l‘époque je vivais à Paris, travaillais comme Mannequin et commençais à m’intéresser pour l’art contemporain. Presque tous les jours j’allais à Drouot pour découvrir ce qui allait se vendre ou pas dans les ventes publiques.

A côté des visites à Drouot je visitait les musées, les galeries et les foires de l’art – il y avait une masse incroyable d’œuvres de toutes les époques possibles mais aujourd’hui je ne me rappelle de rien en particulier, à part ci et là des artistes qui me parlaient plus que d’autres et qui m’ont intéressé davantage par la suite.

Il y a une exposition - dans la galerie Karsten Greve - qui m’est restée dans l’esprit  – je me rappelle d’une tasse, d’une soucoupe et d’une cuillère recouverte de fourrure et je me rappelle du nom Meret Oppenheim.

Objet ou “Le déjeuner en fourrure” de Meret Oppenheim

Objet ou “Le déjeuner en fourrure” de Meret Oppenheim

Cette œuvre et le nom ont laissé une impression indélébile dans mon esprit plus qu’aucune autre pour je ne sais quelle raison. Quelque chose en elle m’a connectée, m’a émue, m’a fait rêvée,  m’a transportée.  Je ne pense pas qu’il faut chercher les raisons profondes et encore moins essayer de trouver la « vérité véritable » aux attirances et émotions. Se laisser porter est sûr de mener quelque part. 

 Cette tasse de porcelaine couverte de fourrure ma montré un nouveau chemin, elle était à la fois une surprise comme un rappel, quelque chose de familier et de rare, il y avait une forte attirance et un léger goût de dégoût. Il y a une magie qui émane de cette tasse comme il y a une magie qui émane de Meret Oppenheim elle-même. Je trouve chez elle la profondeur et la légèreté,  la féminité et la masculinité, l’humanité et le spirituel, la liberté et le confinement, la force et la fragilité.

 La première exposition en 1936 de cette création ensorcelante, qu’elle appelait « Objet » a trouvé un succès instantané. Le Musée de l’art Moderne de New York l’achetait pour sa collection et presque du jour au lendemain la toute jeune Meret Oppenheim de 23 ans était connue comme artiste surréaliste jusqu’aux Etats-Unis et cette étiquette est restée jusqu’ à présent comme d’autres étiquettes d’ailleurs.

 « Surréaliste », « sensuelle », « érotique », « libre »  - ce sont celles que je trouve souvent (pas seulement) et je ne veux pas dire que c’est faux mais cela me paraît aussi un peu creux. Oui, il émanait une énergie très particulière d’elle. Quand je vois la magnifique photo qui la montre nue devant la caméra de Man Ray – elle me semble comme une fleur rare qu’on a envie de posséder tandis qu’il est évident qu’elle restera à elle-même. Elle expose sa vulnérabilité, sa délicatesse comme une précieuse porcelaine. On veut la prendre de force parce qu’elle s’évade et aussi la couvrir, la protéger.

« Objet » c’est le titre choisi de M.O. pour la tasse, « le Déjeuner en fourrure » celui d’André Breton. L’œuvre est connue par le deuxième nom, mais « Objet » me paraît plus juste. Peut-être il s’agit d’un autoportrait intuitif, un instantané de la très jeune artiste-femme, juive en 1936, qui s’aventure à Paris en artiste encore peu éduquée et très ouverte, cherchant la vie, la profondeur, la liberté, sa propre identité. 

Erotique voilée, Meret Oppenheim à la presse chez Louis Marcoussis , 1933 Man Ray

Erotique voilée, Meret Oppenheim à la presse chez Louis Marcoussis , 1933 Man Ray

Quand j’ai découvert « Objet », j’avais le même âge, j’étais au même endroit, je me suis lancé dans la vie d’une manière un peu aveugle, j’ai cherché l’art et moi. Cette peau de fourrure, je pense aujourd’hui qu’elle m’a semblé très appropriée à l’époque.

Et il y a d’autres interprétations plus sinistres, comme celle de Will Gompertz, ex-directeur de la Tate Modern, par exemple : « The sexual connotations of Object (Le Déjeuner en Fourrure) are obvious: drinking from the furry cup is an explicit sexual reference. But there is much more to it than a saucy joke. The image of a fur-lined cup and spoon would not be out of place in the first chapter of any book about anxiety nightmares, in which any pretense of being in control is subverted by sinister happenings. In this instance, a cup and spoon has grown hair, turning objects from which one should derive relaxation and pleasure into something aggressive, unpleasant and faintly disgusting. It has connotations of bourgeoise guilt: for wasting time gossiping in cafés and mistreating beautiful animals (the fur is from a Chinese gazelle). It is also an object designed to engender madness. Two incompatible materials have been brought together to create one troubling vessel. Fur is pleasing to touch, but horrible when you put it in your mouth. You want to drink from the cup and eat from the spoon—that is their purpose—but the sensation of the fur is too repulsive. It’s a maddening cycle. »

Ayant vu M.O. parler de sa première grande œuvre ou encore d’autres personnes proche d’elle – cette vision paraît plutôt lourde.  Un après-midi M.O. prend le thé avec Picasso et Dora Maar au Café de Flor; les deux artistes sont charmés par un bracelet recouvert de fourrure que M.O. avait crée pour Elsa Schiaparelli, Picasso fait la remarque qu’il aime tout ce qui est recouvert de fourrure et M.O. répond avec une boutade.  C’est un peu osé - le grand artiste provocateur et la jeune artiste-proie – qui se moque et qui ne tombe pas ! Il me semble qu’ »Objet » a été crée avec légèreté et audace, venant de l’inspiration du moment, d’une boutade initiée par Picasso, menée plus loin par M.O. et finalement réalisée avec un sens de provocation pour une exposition dans la galerie Charles Ratton. Il faut même se demander si elle est réellement « surréaliste ».  Pour moi il n’est pas clair si une œuvre surréaliste doit être créée avec cette intention ou si elle peut être viscérale. Meret Oppenheim était une femme, fascinée et inspirée par les rêves et dans ce sens on pourrait dire que le surréalisme vivait probablement en elle et que donc son art est surréaliste. Mais pour moi le surréalisme a souvent quelque chose d’un peu artificiel et l’œuvre de Meret Oppenheim se présente à moi plus spontané et plus naturel.

Meret Openheim, Fashion and Art

Meret Openheim, Fashion and Art